Rencontre avec un humaniste au grand cœur
Le 28 juin dernier, Ioan Sauca, « retraité » du Conseil œcuménique des Églises était à la Maison des religions de Berne à l’invitation de la CTEC du canton de Berne et de la CTEC Suisse. Il a témoigné à bâtons rompus de ce qu’il a vécu et atteint dans le domaine de l’œcuménisme au cours des 40 dernières années. Témoignage d’un humaniste – « ni manager, ni diplomate mais profondément professeur de théologie » – au grand cœur !
La crise en guise de fil rouge
On croit immédiatement Ioan Sauca lorsqu’il dit qu’il n’a jamais postulé à une fonction mais qu’il a répondu à un appel venant d’en haut, un appel à se mettre au service :
- de l’Institut œcuménique de Bossey qui traversait une grave crise. Il en profite d’ailleurs pour remercier les Églises suisses pour leur soutien à cet institut de formation, unique en son genre. À Bossey, les étudiants qui viennent du monde entier pour se former à l’œcuménisme se soumettent à une sorte de « thérapie aux électrochocs » dans leur voyage à la découverte des autres traditions chrétiennes. Chacune, chacun anime à son tour les célébrations quotidiennes en faisant en sorte d’y intégrer les autres. Certains aspects liés à l’inculturation du christianisme peuvent être très déroutants, voire choquants : danser en chantant ou en priant, prier pour les défunts. Toutefois, on ne saurait se prétendre « œcuménique » si l’on s’arroge le droit de porter un jugement sur la théologie d’autrui : « Nous ignorons qui entrera dans le Royaume des cieux. Laissons Dieu en juger ! Nous prions toutes et tous notre Père, nous sommes donc tous et toutes frères et sœurs en humanité. L’amour de Dieu pour le monde a pris chair en Jésus Christ. Théologiquement, je suis obligé », souligne le P. Sauca « de voir tous les êtres humains comme des frères et des sœurs dans la chair. Nous avons des valeurs communes, nous avons des références théologiques communes – la Parole mais aussi les Pères de l’Église qui inspirèrent également Calvin et Luther – la question est de savoir ce que l’on peut construire ensemble sur la base de ces valeurs. Nous n’abandonnons pas notre identité mais œuvrons à construire ensemble un monde plus juste » ;
- du Conseil œcuménique des Églises (COE) en tant que secrétaire général par intérim pour quelques mois qui devinrent trois années. Durant son mandat, le monde a connu la crise – celle du covid – qui a affecté les Églises autant que la société civile dans toutes les régions du globe. Une autre crise majeure a suivi, la guerre en Ukraine qui est également une guerre entre deux Églises.
La voie de la réconciliation
C’est le COE qui a demandé à Ioan Sauca de se rendre en Ukraine et à Moscou. Il y fut reçu par les responsables des deux Églises. À Bossey, il y a des étudiants des deux Églises qui parviennent, malgré le conflit, à chanter ensemble puis à partager une pizza à l’invitation d’Ioan Sauca. Enfin, et c’est important, les deux Églises impliquées dans la guerre étaient présentes à l’assemblée plénière du COE à Karlsruhe. Le COE est la seule plateforme internationale dont elles sont membres. Pour Ioan Sauca, il y a un appel mystique à être en dialogue (dia-logos) pour s’opposer à ce qui désunit et inspire la haine (dia-bolos). Nelson Mandela était persuadé que si l’on souhaitait faire la paix, il fallait parler à son ennemi : « If you want to make peace with your enemy, you have to work with your enemy. Then he becomes your partner », cite-t-il.
L’orthodoxie dans le mouvement œcuménique
Malheureusement, l’orthodoxie est considérée comme une confession parmi les autres : les orthodoxes constituent la chrétienté orientale, considérée aujourd’hui comme une sorte d’appendice du mouvement œcuménique, qui serait d’inspiration protestante. Or, le premier appel au dialogue a été lancé au début du 20e siècle par le Patriarche œcuménique, appel suivi en 1920 par une encyclique du Patriarche qui proposait la création d’une ligue d’Églises à la suite de la création de la Société des nations. En 1948, seules quatre Églises orthodoxes purent participer à la fondation du COE, les autres se trouvant derrière le Rideau de fer. En 1961, les Églises de l’Est ont rejoint le COE en bloc, deux ont pris la décision d’en sortir quelques années plus tard. Les décisions de 1948 et de 1961 ont un fondement autant politique que théologique. Les dignitaires orthodoxes sont parfois accusés de se compromettre par souci d’unité et le Patriarche œcuménique taxé de collaborateur (de l’Ouest).
L’éthique prend le pas sur la théologieL’œcuménisme intègre dès les années 1960 la vie des Églises. Des chaires de théologie œcuménique – aujourd’hui presque toutes disparues – furent créées, les Églises avaient des spécialistes et des chargés d’œcuménisme. Aujourd’hui, l’œcuménisme est devenu un département intégré aux « affaires extérieures » et les Églises se préoccupent prioritairement de leur propre identité. Le sujet actuellement le plus débattu dans les milieux œcuméniques est l’homosexualité. L’éthique a donc pris le pas sur la théologie. Or les questions éthiques sont beaucoup plus clivantes que les questions théologiques, souligne Ioan Sauca.
Célébrer ensemble
La présence du Christ dans le pain est un mystère. Les problèmes commencent dès que l’on tente d’expliquer le mystère. Ce sont les différentes conceptions philosophiques qui ont divisé la chrétienté au cours de l’histoire. Pourtant, « l’unité n’est pas une option, elle est un devoir », souligne Ioan Sauca. Les célébrations œcuméniques sont le plus souvent « créées de toute pièce », elles ne suivent pas une liturgie enracinée dans une communauté. Elles manquent d’authenticité et ressemblent trop souvent à un show qui ne touche pas le cœur des gens ; ils n’y viennent donc plus. Le défi est de toucher le cœur des gens sans compromettre le contenu de la foi apostolique. Ioan Sauca pense qu’il faut donc éviter de créer des formes liturgiques qui ne seraient enracinées dans aucune tradition. Ça n’est pas la solution. C’est aux ministres que revient la tâche de faire sortir l’œcuménisme de son statut élitaire en transmettant la flamme à leurs communautés. Pour Ioan Sauca, « cela passe par la formation, dans toutes les Églises ». Le dernier mot revient donc au professeur !
Anne Durrer, CTEC Suisse