Une réflexion à l’occasion du Vendredi-Saint et de Pâques 2024
Toutes les Églises commémorent la crucifixion de Jésus-Christ lors des célébrations et des prédications du Vendredi-Saint ; le dimanche de Pâques, les chrétiens célèbrent la résurrection du crucifié. Depuis lors, année après année, les disciples du Christ témoignent de Son amour inconditionnel pour l’humanité. Jusqu’à aujourd’hui. L’idée du « réveil des morts » prend ses racines à l’époque des Maccabées, au deuxième siècle avant Jésus-Christ. Elle est devenue partie intégrante de la théologie jésuanique et de la théologie pharisaïque-rabbinique.
Pendant des siècles, le Vendredi-Saint a été un jour de peur pour les communautés judaïques dans les villes et les pays de culture dominante chrétienne qui attribuaient au judaïsme la responsabilité de la crucifixion et de la mort de Jésus. Les persécutions et les expulsions anti-judaïques débutèrent souvent le Vendredi-Saint. Depuis le VIe siècle jusqu’au Concile Vatican II, on priait, pendant la liturgie du Vendredi-Saint, pour les perfidi Judaei [1], les juifs félons ; on priait pour que « Dieu Notre Seigneur enlève le voile qui couvre leurs cœurs et qu’eux aussi reconnaissent Jésus, le Christ, Notre-Seigneur ».
Les textes du Nouveau Testament qui parlent de la condamnation à mort et de la crucifixion de Jésus transportent encore aujourd’hui ces accusations portées contre les juifs par l’intermédiaire des mises en musique de la Passion par Jean-Sébastien Bach ou d’autres compositeurs. L’aristocratie du Temple, saducéenne, qui donnait à l’époque le ton à Jérusalem, était étroitement liée à la puissance d’occupation romaine. Seul un représentant de l’autorité romaine, comme Ponce Pilate, pouvait alors prononcer une condamnation à mort et la faire exécuter. Les textes doivent donc être lus et compris dans le contexte de leur rédaction, des décennies après la crucifixion de Jésus [2].
La nécessité d’une ré-interprétation des textes est étayée dans les 10 thèses de Seelisberg formulées en 1947. Ces dernières reconnaissent que le christianisme prend ses racines dans le judaïsme et posent ainsi la première pierre d’un renouveau – en Suisse et ailleurs – du dialogue judéo-chrétien après la Seconde Guerre mondiale. L’Amitié judéo-chrétienne a été fondée juste après la fin de la guerre, pour lutter contre l’antisémitisme.[3]
L’antisémitisme et l’islamophobie sont les deux faces de la même médaille.
Le samedi 3 mars 2024, au soir, à Zurich, un homme de 50 ans, identifiable comme juif orthodoxe par son habillement, a été attaqué au couteau par un jeune musulman de 15 ans qui l’a très grièvement blessé. L’adolescent avait déclaré dans une vidéo dans laquelle il revendiquait son acte, qu’il voulait tuer ou blesser le plus grand nombre possible de juifs et de chrétiens, ainsi que des musulmans vivant, à ses yeux, d’une façon incompatible avec la foi. En Suisse, les agressions verbales et physiques à caractère antisémite ont massivement augmenté depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie à Gaza. Il en va de même pour l’islamophobie dans la société.
Cela doit cesser !
En tant que chrétiennes et chrétiens, en tant que citoyennes et citoyens, nous devons prendre clairement position contre toute forme de violence, d’exclusion et tout manquement au respect fondamental dû à autrui. Il est inadmissible que les quelque 18 000 juives et juifs de Suisse soient contraints de vivre dans la peur. Il ne faut toutefois pas non plus que les musulmanes et les musulmans soient tenus responsables – par une grande partie de la population – de chaque attaque à caractère islamiste.
Cela implique que nous engagions toutes nos forces :
- pour que la paix religieuse perdure en Suisse,
- pour que toutes et tous, nous puissions exercer notre religion librement, un droit garanti par la Constitution suisse ;
- pour que la sécurité de la communauté juive soit assurée. Il est plus que jamais nécessaire d’aborder le thème de l’antisémitisme [4] et de la « haine de l’autre » dans l’enseignement.
Nous, pasteures et ministres assurant une prédication, un enseignement et un accompagnement spirituel, demandons à nos Églises de veiller à la façon dont elles transmettent le message biblique dans le cadre de leur action afin d’éviter tout stéréotype antijudaïque ou antisémite ; nous leur demandons de s’engager pour le vivre-ensemble paisible.
Nous vous demandons, à toutes et tous, de témoigner de votre solidarité avec les personnes traumatisées en Israël, avec celles qui ont perdu des proches, qui sont toujours retenues en otage, avec leurs familles, avec toutes les personnes déplacées, qui souffrent de la faim à Gaza ou dont les proches ont été tués.
En cette année 2024, le temps de la Passion coïncide avec le mois du Ramadan (mois du jeûne pour les musulmans) qui vise, par la succession de journées entières de jeûne, à ouvrir un espace de relation entre les êtres humains et Dieu.
AKB et AJC, le 17 mars 2024
Texte à télécharger (PDF)
Vous pouvez vous aussi signer cet appel en communiquant par courriel vos nom, prénom, titre et fonction à: christoph.knoch@pfarrverein.ch.
Christoph Knoch, président de l’AKB, pasteur à la retraite | membre de l’AJC Berne | 078 606 76 86
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Oremus_et_pro_perfidis_Judaeis
- Il peut être utile de lire les textes dans leur contexte et de remplacer les Juifs par ceux qui possèdent le pouvoir, les puissants (soit l’aristocratie du Temple et les forces d’occupation romaines)
- https://www.cja.ch/wer-sind-wir/geschichte-der-cja-schweiz.html; fondation en Suisse en 1946. Voir aussi (en allemand) https://www.nzz.ch/feuilleton/juedisch-christlicher-dialog-seine-anfaenge-in-der-schweiz-ld.1602033
- https://www.lavie.fr/christianisme/eglise/christophe-le-sourt-nous-ne-pouvons-pas-laisser-les-juifs-seuls-face-a-lantisemitisme-88956.php